On me demande souvent comment je choisis mes voyages. Après 7 livres (le prochain sort en 2012), et je ne sais combien de va et vient à travers le monde (Une vingtaine par livre… parfois plus…), j’ai un peu développé une méthode. Les livres de voyages que j’écris sont totalement personnels, faits de manière absolument indépendante (à part le travail de mon éditeur bien sûr). Je travaille à la façon d’un détective. Un peu comme un Philip Marlow de Chandler. J’ai une idée de ce que je veux voir, des récits que je veux écrire, je propose l’idée à mon éditeur, et à partir de là, le travail d’investigation commence ; Personne ne me dit où aller. Personne ne me force à écrire sur tel ou tel endroit. Je suis en roue libre. Sans cette liberté totale, je ne crois pas que j’écrirais. Il est déjà tellement difficile de trouver des idées, de les développer sur une feuille, de les rendre viables commercialement (ce qui va tout de même complètement à l’encontre du travail d’écrivain), que si cela devait se faire sous la contrainte, je ne pense pas que je serai même passable, à ça. Le voyage, comme les livres, je ne les conçois qu’aventureux, dans un esprit vagabond. J’aime retourner des pistes, fouiller Google, traquer l’info sur internet. Je ne vais jamais, ou presque dans les hôtels où les endroits dont on parle. C’est un peu comme un homme à qui une femme dit tout de suite oui. Le fait que ce soit facile, que l’information me soit donnée comme ça, sans que j’ai à faire d’effort, m’enlève tout intérêt pour la chose. J’aime ces moments où tout est possible, où je ne sais absolument pas où je vais atterrir, ni comment cela va se passer.
Le bonheur, c’est quand je découvre une perle dans un amas de cailloux. Un beau texte. Des images qui m’enchantent ou me surprennent. Le plus, qui va me donner envie de partir. J’entre alors en contact avec des gens que je ne connaissais pas une minute auparavant. Généralement, en une matinée, j’ai écris une dizaine d’emails en trois ou quatre langues différentes. Parfois, le contact se fait tout de suite et je sais d’instinct que l’endroit va me plaire, que quoi qu’il arrive, je ne perdrais pas mon temps en y allant. Parfois, une réponse de quelques lignes suffit à me faire comprendre que l’endroit n’est pas pour moi. Je ne cherche pas le luxe. Je cherche une façon de voir la vie, un charme, une politesse (quelle horreur les messages brutaux – cela arrive – formatés – avec des formules banales que l’on sent apprises par cœur). J’ai besoin que mes voyages me mettent en contact avec des gens qui m’intéressent, que je pourrais rencontrer chez des amis ou un parent et avec qui j’entamerais une discussion tout naturellement. A la maison, au Chili, nous avions l’habitude recevoir des gens de toutes sortes, de la famille de l’étranger, des artistes, des amis de mes parents venus de partout dans le monde. Je continue sur cette lancée, c’est tout. J’aime m’adapter, me prouver que je peux aller vers n’importe qui. Entrer en contact avec des gens qui font des efforts, qui ne se contentent pas de suivre ce que leur impose une chaine ou les tendances. Il ne m’est jamais arrivé d’être déçue dans mes voyages ; Si cela ne s’est pas passé comme je le pensais, cela n’a pas été inintéressant pour autant. Parfois, l’expérience s’est avérée même plus intéressante que l’idée de départ. C’était surtout vrai quand internet n’existait pas, pour mes premiers livres ; Là, c’était la grande aventure ; Et une fois dans la jungle argentine, pas question de rentrer dans l’heure… Cette obligation d’adaptation est mon grand plaisir. Quand je cherche le meilleur lieu pour mes récits ou mes livres, j’ai besoin de me dire que je vais devoir faire fonctionner une nouvelle partie de mon cerveau. Je ne cherche pas ce qui rassure ni ce qui est facile. Il faut faire travailler son imagination, sinon, à quoi bon ? Dès lors que l’imagination est secouée, on entre dans un nouvel univers comme dans un roman. On se familiarise avec des noms dont on n’avait jamais entendu parler. On pénètre dans la vie de gens dont on ne savait rien. On passe du courant à l’inhabituel et de là au bizarre. On sait que quelque soit le style de l’endroit, ce ne sera pas une expérience banale et que rien que pour ça, cela voudra le coup.