Paris – Le matin, au café

English version in a few days

Chaque matin, quand je suis à Paris, je prends mon petit déjeuner au café en bas de chez moi. Toujours au comptoir, avec les mêmes habitués, qui étrangement sont toujours à la même place. Si quelqu’un est déjà là quand ils arrivent, le patron met simplement sur le comptoir ce qu’ils commandent d’habitude et ils se glissent entre les corps pour l’attraper.
Le coiffeur se met toujours au bout du comptoir à gauche. Il a acheté le salon où il travaillait (son ancienne patronne habite d’ailleurs toujours dans l’immeuble, au-dessus du salon), a l’air d’un étudiant, porte généralement un t-shirt et un jean, et surtout, parle d’une manière… C’est difficile de faire la part entre l’argot et ce qu’il invente. A chaque fois qu’il ouvre la bouche, je me demande ce qui va en sortir, et quand tout est dehors, je me dis que je dois être devenue une vraie parisienne parce que j’arrive à tout comprendre. Il aime parler de foot, avec le pharmacien qui vient de Martinique et se met à côté. De foot et des scandales politiques, surtout s’ils font la une du Parisien (que le café met gracieusement à disposition de ses clients).
A côté du pharmacien, il y a le jeune qui boursicote. Il aime discuter avec les deux autres, quelque soit le sujet, prend toujours un café, deux croissants et un jus d’orange, et dix minutes plus tard – sûrement emporté par la discussion – prend un autre café et un pain au chocolat. C’est dire s’il n’est pas obsédé par sa santé.
Après, on trouve les trois dames serbes qui travaillent à la bijouterie et parlent dans leur langue. Je me dis qu’elles doivent être heureuses de pouvoir le faire. Elles donnent toujours l’impression d’être contentes de se retrouver.
Ensuite, il y a souvent le propriétaire du restaurant algérien, qui prend son expresso l’air renfrogné. Son restaurant est célèbre, et tous les soirs, il est à l’entrée, débordant d’énergie, à faire son show pour les touristes. C’est peut-être pour ça qu’il n’a pas envie de parler le matin.
Après, il y a moi, et après, souvent, il y a le maçon. Lui et Gaston, le patron du café, ont découvert Paris quand ils avaient 17 ans. Gaston en 1961, en arrivant de son Auvergne natale. Il a commencé par travailler dans un café à la Bastille, puis son patron l’a aidé à ouvrir son propre café. Il est toujours de bonne humeur parce que comme il dit « c’est dans ma nature ». Il peut parler de tout avec tout le monde, et sait aussi très bien se taire. Il a la diplomatie dans le sang. Le maçon est arrivé en 1970. Ils ont tous les deux quittés leurs fermes familiales parce que c’était « évident » qu’il n’y aurait pas de travail pour eux. Ils ne savaient rien de rien, venaient de familles nombreuses. A Paris, ils ont été reçus par « leurs sectes », comme ils disent en souriant. Les bistrotiers auvergnats et les maçons corréziens. Ils parlent d’un Paris qui n’existe plus, des bus à plate forme, du temps où il suffisait d’arriver de sa province pour être accueilli par un membre de sa région et trouver un travail, de la situation actuelle, de ce qu’ils veulent transmettre à leurs enfants. Et tout ça ne me coûte que 3 euros 30…

Photo: Julio Piatti.

Ce contenu a été publié dans Life, avec comme mot(s)-clé(s) , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.